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Par Nadine Priam-Plesnage

Les damnés de la Mémoire

Publié le 27 octobre 2024

Tanguy Blais commissaire général du Prix Cultura, à droite Tiémoko Diarra lauréat 2023
Tanguy Blais, commissaire général du Prix Cultura, et à droite, Tiémoko Diarra, lauréat 2023

Cette année se tiendra la troisième édition du Prix Cultura. Une aventure folle que seul*es les esprits animés de passion,- cet élan qui vous préserve des « réalités », -sont capables de rêver d’abord, puis de rendre réelle.

Ainsi, voici trois ans que Tanguy Blais, réalisateur et dirigeant d’une boite de production audiovisuelle rend hommage à la critique d’art journalistique à travers un prix de récompense qu’il a bâti de toutes pièces. Il consiste en un concours où les meilleurs reportages sont récompensés au mois de Novembre. Le président du Jury n’est autre que Serge Bilé, ivoirien, martiniquais d’adoption ayant œuvré plusieurs décennies à France télévisions dans sa filiale en Martinique et auteur de nombreux ouvrages littéraires novateurs sur des figures noires oubliées de l’Histoire.

L’ambition de cet évènement est de pallier le manque de documentation concernant la culture et les savoirs endogènes du pays. L’idée est de stimuler la production d’écrits afin de préserver et transmettre les patrimoines. Une problématique cruciale à l’heure où ce qui ne figure pas dans les bases de données, tout ce qui est inaccessible à l’IA… n’existe tout simplement pas.

TK Academy et Trayskreyol sont partenaires de cet évènement.

Serge Bilé et Nadine Priam-Plesnage

L’oubli mémoriel dans les pays du Sud Global constitue une crise profonde, à la fois culturelle et sociétale, dont les conséquences sont sous-estimées et dont les dégâts s’expriment sous nos yeux. Le ou les mécanismes de l’oubli fragilisent la cohésion sociale et retardent le rattrapage nécessaire à notre participation au narratif mondial.

C’est peu ou prou ce que cet article signé du journaliste Tiémoko Diarra de Soir Info, publication ivoirienne, vient nous rappeler. Il est le lauréat du Prix Cultura, qui se tient chaque année à Abidjan.

Tiémoko Diarra, lauréat 2023 du Prix Cultura

Dans son article primé l’an dernier, Tiémoko Diarra revient sur le combat mené par les ayants droits d’un musicien « dont le nom rime avec l’histoire de la Côte d’Ivoire indépendante des années 60 » : Jean-Baptiste Yao.

Un combat pour la réhabilitation de leur père décédé il y a trente ans, un combat aussi pour qu’il bénéficie d’une pierre tombale ! Le journaliste, à travers ses lignes nous fait sillonner les rues de Tiassalé la ville natale de l’artiste et ce faisant, nous permet de cheminer, stupéfaits, sur la question de la place accordée à ceux qui ont forgé l’âme de nos territoires. Sous la plume de Diarra, la découverte de la sépulture de l’artiste rappelle une quasi épopée au « milieu d’herbes folles », « escaladant plusieurs tombes », l’expérience est physique ; il faut « donner de sa personne »… triste tableau ;  indigne ! explique le fils du musicien, qui attend encore la pierre tombale commémorative qui lui avait été promise.

En réalité, les Jean-Baptiste Yao ne sont-ils pas légions dans nos territoires ?

On peut citer Louisiane Saint-Fleurant en Haïti, cheffe de file du mouvement 5 soleils, dont la tombe a été rasée pour y construire un parking.

On peut citer Marie Thérèse Lung Fu, première sculptrice martiniquaise dont la mémoire est restreinte à ses œuvres littéraires pour enfants. Art derrière lequel elle s’est retranchée faute d’opportunités. Sa seule œuvre restée dans l’espace public en Martinique a été détruite en 2021. Le peintre Raymond Honorien, les élèves de l’école des arts appliqués de Fort de France.Tant d’autres figures dans tant de domaines, victimes d’un même schéma qui se répète.

Rien de bien nouveau sous le soleil objecteront certains. Et pourtant !

 En effet, si le mécanisme de l’oubli est un schéma qui n’a rien de nouveau en réalité, en histoire comme en histoire de l’art, sa caisse de résonnance sur les territoires du Sud, et ses enjeux, méritent qu’on s’y attarde.

 

 

L’oubli mémoriel un phénomène aux multiples facettes

L’oubli mémoriel est particulièrement néfaste pour les cultures du sud global.

Vulnérabilité face à la domination culturelle, risque d’acculturation, fragmentation sociale, désorientation face à l’avenir : sans le socle de la mémoire commune, les peuples et les sociétés qu’ils composent peuvent avoir du mal à élaborer une vision claire pour leur avenir en se retrouvant sans ancrage solide pour affronter les défis contemporains.

Une problématique familière aux peuples ayant subi un contexte de domination coloniale partout dans le monde.

Il y a tous ceux qui bénéficient d’une petite visibilité, comme les autochtones d’Australie, en passant par les amérindiens et les peuples premiers selon la terminologie canadienne.

 Et puis il y a les sociétés créées à la suite de la circulation/domination d’autres civilisations, on pense aux garifunas et bien sûr aux sociétés caribéennes.

Pour toutes, l’oubli mémoriel constitue une vraie menace. Menace sur la préservation de leurs espaces naturels et leur habitat. Menace en ce qui concerne la préservation des ressources naturelles et par-dessus tout, menace de disparition des savoir-faire ancestraux, ceux-là même qui ont jusque-là garanti la continuité et la pérennité de l’environnement, de la vie, de valeurs, de la diversité.

À l’intérieur de ces zones de génie, on trouve les pratiques artistiques et culturelles ; à savoir l’expression de l’âme d’un groupe.

La marginalisation des artistes et artisans d’art de ces territoires, marginalise également les récits dont ils sont dépositaires ; leur vision, et leur rapport au monde.

Aujourd’hui encore les artistes du sud global peinent à obtenir une reconnaissance internationale, leurs œuvres sont considérées comme périphériques et « illisibles » parce-qu’abordées sous le prisme des normes occidentales.

La démocratisation/vulgarisation de savoirs académiques diversifiés permettant au plus grand nombre de découvrir la richesse de ces productions peine aussi à pénétrer les circuits favorables à leur épanouissement. Car le phénomène ne touche pas seulement les créations mais aussi, les productions académiques qui demeurent difficilement accessibles. La voix des intellectuels travaillant depuis les terrains ou issus de ces derniers est insuffisamment valorisée, ou encore le demeure dans des cercles qui semblent peu pénétrables.

 

Damnatio memoriae

Alors, pourquoi la persistance de ces difficultés ? et comment expliquer que tout comme Jean-Baptiste Yao en Côte d’Ivoire, la trajectoire de dizaines de figures tutélaires soient effacées ?

Il ne faut pas oublier que l’oubli peut être délibérément orchestré pour diverses raisons, dont des raisons politiques au sens large.

L’oubli de nos grands personnages serait-il le dommage collatéral de l’amnésie collective ? Celle qui permet d’oublier justement les évènements traumatiques du passé. Un mécanisme de défense à l’échelle d’un groupe qui permet, certes de transcender les traumas, mais dont le corolaire semble être la page blanche.

Une chose est sûre tout se passe comme si on se situe dans un pas de deux morbide, une danser à s’étourdir, s’enivrer juste du moment présent… pour oublier.

Toutefois, les esprits s’éveillent. Une nouvelle partition, un nouveau paradigme à dire vrai, s’est invité parmi les musiciens : l’Intelligence Artificielle.

Elle nous demande de choisir notre camp :

Team Arthur Schopenhauer, philosophe qui prône notamment dans ses écrits l’illusion du progrès historique et pour lequel l’histoire ne présente qu’une répétition incessante des mêmes événements ? Ce qui légitimerait un « à-quoi-bonisme » généralisé ?

Ou team système de valeurs des traditions « premières », autochtones, où l’oubli des patrimoines, des ainés, n’a pas sa place ?

Lire par exemple sur la philosophie africaine : Placide Temples, Marcien Towa, Henry Odera Oruka, Ernest-Marie Mbonda.

Quoiqu’il en soit, un point d’alerte : point trop de temps à débattre, car mi ange , mi démon, nous sommes prévenus : tout ce qui n’est pas documenté, l’IA ne le connaît pas.

C’est en cela qu’une initiative comme ce prix qui crée de l’archive photo, audiovisuelle, sonore, écrites ne nous a pas laissé insensibles à TK Academy.

Je vous invite à prendre le temps de lire l’excellent reportage palpitant de Tiémoko Diarra, journaliste culturel à soir Info à Abidjan [ci-dessous].

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