RH  IZO - ME, l’élan racinaire

par Eva Augustine

Timmy SAPOTILLE Louis Junior Jordan

©Njeri Njuguna

[…] ils viennent s’égarer, ils désoccupent la Grande Voix concrète […] Ensuite, il leur faut regagner la salissure de la terre, la vérité de l’arbre devant la maison. »

Soleil de la conscience, Édouard Glissant

 

Le 20 septembre 2023, Timmy SAPOTILLE Louis Junior Jordan a dévoilé RH IZO- ME, sa première exposition personnelle indépendante à Paris en compagnie d’autres artistes originaires des Antilles. Avec ce premier chapitre, l’artiste incise l’écorce de l’identité-rhizome caribéenne, cet arbre ancré devant la maison. À l’image de Glissant dans Soleil de la Conscience – figure édifiante pour l’artiste -, son départ vers l’Europe, du Canada à Paris, marque le début d’une quête initiatique commune à tant de jeunes antillais.es. Exploration identitaire et plastique, escale de l’écartèlement au réveil, le designer plasticien nous convie au centre de ses recherches artistiques nichées dans son expérience intime.

 

Héritages, 2022 © Njeri Njuguna

Ses œuvres se modèlent dans une esthétique du réel incarné et signifiant. Il utilise la force évocatrice des objets usuels : colis envoyé par les parents depuis les îles, tickets de caisse, coutelas gravé, fouet, cheveux, peaux de cabris, etc. Timmy est un designer, l’objet est symbole et véhicule de sa pensée. Dans mon pèlerinage expographique, les objets me content le tiraillement identitaire et son inhérent fardeau, la tragédie du scandale du chlordécone, l’héritage plantationnaire, l’initiation spirituelle, le système capitaliste et le militantisme performatif. Dans les œuvres sélectionnées, la figuration n’y trouve pas sa place sinon pour rendre hommage à sa filiation parentale. Comme l’artiste Kelly Sinnapah Mary, la première œuvre du parcours présente les ramifications de son identité indo- afro- caribéenne à travers le collage photographique Philene Raymonde. Ce langage visuel, partagé par son public, se veut porteur de transcendance et de questionnements. Pour autant, les hexagonaux étrangers à ce dialogue y trouvent une représentation contemporaine non exotisante de l’espace antillais.

 

Tout claque, fouette, frappe. Illumine aussi. Il n’y a pas de réveil sans inconfort. Pas d’initiation sans voyage. Pas de lumière sans ombre. Il faut construire en marge de l’édifice, laisser s’étendre les racines horizontales du rhizome vers l’idéal de l’autodétermination spirituelle, philosophique et politique.

 

Quelques jours avant le montage, je lis sur son Tumblr :

 

Jay Ramier is my Virgil Abloh.

Sé tan mwen osi Timmy.

 

Émanation de la contemporanéité. Créolisation effective. Un livret de références appelle mon œil de chercheuse compulsive, il commente Ye/Glissant, Turrell/Basquiat, Biabiany/Jafa. L’exposition, elle-même, s’est construite en collaboration avec Puma. Les influences coexistent, nourrissent la structure esthétique, et désormais, économique de son travail. Cependant zanmi, ne faut-il pas, en tout temps, examiner le jeu subtil de nos influences mondialisées ? J’appose ici.

 

 

Gabriel Yssap et Timmy SAPOTILLE Louis Junior Jordan ©Njeri Njuguna

 

Cet élan racinaire est collectif, vitalisé par ses ami.e.s artistes Dana Cavigny, Maxime Alexis, Edgar François, Loick Mfoundou, Améline Martias, Gabriel Yssap et Allan Arma. Le rhizome rencontre le rhizome, le microcosme amical Relationnel devient terrain d’expérimentation, de réunion et de confrontations. À travers de multiples médiums, iels explorent l’expression hybride de leurs identités culturelles. Les récits personnels se côtoient dans la photographie et le dessin, des captations documentaires de la réalité insulaire à la reconstitution mémorielle née des archives familiales.

 

Retour au 20 septembre, Paris. Rue Saint-Honoré. 20 h 30. Des bougies présentes au sol sont allumées à la manière des tables cultuelles revivalistes jamaïcaines. Sous l’ombre de l’œuvre Nouvelle Religion, croix amalgamée des cheveux de Timmy et de fibres de coco, la voix de lumière d’Eugène Mona résonne avec clarté “Ti chimen an yo kriyé lanmô a” ! Apposée sur une composition musicale qui rappelle celles de Ye,Timmy lève une bougie et évoque le chlordécone, les ancêtres, l’appel à la conscience. L’initié est sur la Voie de l’élévation, en figure de jeune prophète, il replace la spiritualité au centre de sa démarche dans laquelle il perçoit une éventuelle réponse. Dans ce sillage, il a créé son propre signe, symbole d’évocation puissant, identité-religion-brand, inspiré d’une kaz à Pointe-à-Pitre. J’y vois un chimen chyen à emprunter dans ce pèlerinage. Je pense à Beuze, Khokho, Breleur, Lam, René Louis, Guirouard-Aizée et tant d’autres avant lui.

©Njeri Njuguna

 

RH  IZO-  ME est palier liminaire

 

Portail pour achèvement

 

Œuvre miroir avant sortie, défilé des consciences-soleils

 

Remous de la Terre, bêche de la lumière

 

Dans la sève l’étincellement

 

Incise, mon ami Timmy,

 

                          incisez, incisons vers la Vérité dans l’arbre devant la maison.

 

Eva Augustine

Eva Augustine, de son nom de poète Eve, The Alchemist, est une curatrice d’origine martiniquaise née en 1999. Diplômée d’un Master en muséographie, elle s’intéresse à la scène émergente des jeunes artistes plasticien·ne·s caribéen·nes avec qui elle tisse des projets culturels destinés à ouvrir des perspectives philosophiques et théoriques.

 

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