« Rh izo - me » et « Photosynthèse » : quand l’exode des insulaires permet de se rencontrer
par Eléonore Lordinot
Le rhizome d’une plante est la tige souterraine ou subaquatique contenant les éléments qui lui permettent de nourrir sa germination et de rester fixée au sol. Par le biais de son exposition, Timmy Sapotille m’a permis de lire dans le sien ; celui qui fonde son identité, son expression artistique et qui ancre sa posture sociale. Celui qu’il a déconstruit, qu’il honore, mais dont il questionne également les origines. Regarder et comprendre son rhizome passait forcément par la compréhension du monde qui a conditionné sa construction identitaire et des acteurs de celle-ci. Pour matérialiser une telle quête, l’artiste et curateur de « Rh izo- me » s’entoure de ses amis, ses compagnons de route, ceux qui partagent ses quêtes et ses manières de les exprimer. Les différents médiums qu’ils ont choisis amènent à saisir la consistance matérielle et émotionnelle de la déconstruction de l’identité caribéenne – une déconstruction qui rend compte à la fois de la diversité culturelle qu’incarne un seul individu, mais aussi des sentiments ambivalents qui viennent avec la prise de conscience de cette identité plurielle. « Rh izo- me » adresse sans le dire des questions liées à la filiation et à l’affiliation, à la religion et à d’autres rémanences de l’Histoire coloniale. C’est la prise de conscience des variables déterminant le produit qu’il est devenu qui lui a permis de redéfinir son rapport à celles-ci, et ainsi, de se réapproprier son identité.
En biologie, il n’y a pas de rhizome sans photosynthèse. Sans se concerter, les deux initiatives se sont liées par la terre – témoignant d’un besoin commun d’honorer la place de celle-ci dans l’art de vivre caribéen et de revenir aux racines. En effet, dirigée par Laury Lapuly, la « photosynthèse » de l’agence Jardin créole porte les héritages de la cosmogonie des premiers peuples de la Caraïbe. L’exposition rend compte des relations harmonieuses entre les humains et la terre en contexte insulaire caribéen. Elle dresse la description du berceau de la quête identitaire de « Rh izo- me ». Un berceau qui, à lui seul, est une autre forme de la richesse culturelle mise en avant par ces initiatives.
Timmy Sapotille, #Représente?, 2021-2023
©David Démétrius
Dans les salles d’exposition, je détermine plusieurs échelles de réception. À ceux qui n’ont aucune notion de l’espace caribéen, ces expositions sont des moyens de démystifier nos territoires ultramarins et de rompre avec la conception exotique d’îles françaises au milieu de l’atlantique. Ils rencontrent une identité singulière construite au contact d’autres aires culturelles qui « fait pays » à la mode de Chamoiseau. Les caribéens nés en Europe ou ailleurs rencontrent des morceaux d’eux-mêmes qui invitent l’ouïe, le regard et le toucher à s’immerger dans un environnement méconnu ou inconnu qui fait pourtant partie de leur identité. Aux Martiniquais et aux Guadeloupéens ayant grandi sur place, ces rendez-vous créent un sens commun de la quête et de l’affirmation identitaire. Quoi qu’il en soit, tous ceux qui sont passés partent au moins avec les résonances d’un projet individuel qui fait écho à des quêtes identitaires analogues. « Rh izo- me » et « photosynthèse » proposent chacune une unique transmission mais la réception de plusieurs messages qui ne peuvent être qu’enrichissants.
Vue de l’exposition Photosynthèse
©David Démétrius
Finalement, les initiatives de Timmy Sapotille et de l’agence Jardin créole investissent l’imaginaire du quotidien caribéen et représentent le réel du processus d’individualisation en contexte postcolonial. Confrontés à l’altérité, les insulaires se rencontrent individuellement, collectivement, et nous permettent de les rencontrer ; créant ainsi un rhizome deleuzo-guattarien qui offre à la communauté caribéenne l’opportunité de se réaliser en faisant collectif.
Eléonore Lordinot
Étudiante en sciences de l’éducation et en anthropologie, je m’intéresse à la manière dont l’éducation sous ses aspects formels et informels peut être un vecteur de la transmission de la situation coloniale ; et par la même occasion, un vecteur de l’éducation postcoloniale qui servirait à résorber ces effets.
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