When We See Us
Par: Silvana Furtado da Silva Coelho
When We See Us
Publié le 27 juin 2025

L’exposition When We See Us de Koyo Kouoh, directrice générale et conservatrice en chef du Zeitz MOCAA au Cap, et la conservatrice Tandazani Dhlakama, englobe environ 150 œuvres d’environ 120 artistes réparti·es sur six thèmes : le quotidien, la joie et les réjouissances, le repos, la sensualité, la spiritualité et le triomphe, et l’émancipation. En voyant When We See Us, on est immédiatement reflété·e par sa propre perception des couleurs. Ma couleur, celle incontestée, la couleur de la nature, me fait face avec le symbolisme qui jaillit de mon propre reflet. Des tons de terre rouge qui nous ancrent dans la terre, la terre mère, dans un partenariat contrasté avec la fraîcheur profonde des murs qui nous entourent verticalement comme avec le vert des forêts de la nature, toustes ensemble véhiculent un espoir qui va au-delà de leur propre portée. De plus, le choix de la couleur comme toile de fond donne vie aux œuvres exposées. C’est un réalisme d’être nous : ni fade, ni monotone, ni narration unique. L’artiste saisit véritablement ce que signifie se voir soi-même dans cette exposition de « couleur », avec le détail le plus infime, mais d’une importance cruciale, des courbes des murs créant, façonnant et guidant l’espace à travers l’exposition ; me permettant de me voir sous toutes mes formes, sans limites, continues et infinies, s’affranchissant des contraintes du présent et en évoquant nos racines, notre foyer, représentant l’imagerie des huttes traditionnelles, circulaires, en mouvement, sans arêtes ni angles vifs. « Quand nous nous voyons » [When We See Us], nous voyons une nature, créée pour ne jamais blesser, toujours enveloppante et accueillante pour son environnement et ses habitants.


L’exposition a vraiment permis au/à la spectateurice d’émerger pleinement dans l’espace, des couleurs, de la création d’espaces avec une séparation illimitée des murs, aux sièges pour le/la spectateurice, à l’éclairage et à la musique dans les sections différenciées de l’exposition.

Couple à table, une œuvre de Moké (1981), placée dans la section quotidienne de l’exposition qui reflétait mes aînés africains. Je vois l’accomplissement, le partenariat, le compagnon, le respect, la considération, la persévérance, l’amour, la survie, la paix, la maison, une vie, nous y sommes arrivés avec une table pleine de nourriture, bénie avec un moment et une personne avec qui le partager, soulignant une triste mais pourtant une vérité de ma réalité africaine de ne pas avoir la chance de voir et d’expérimenter l’objectif des couples. Le pilier des familles qui perpétuent la vieillesse, ensemble, la santé et la richesse en raison des nombreux conflits et luttes que notre cher continent est perpétué pour durer.


Honor Fraser, une œuvre panoramique de l’artiste sud-africain Meleko Mokgosi, choisie pour montrer la continuité du quotidien. Néanmoins, elle permet de percevoir trois dynamiques différentes d’un foyer qui ne nous appartient pas. Dans cette pièce je vois les différentes fonctions et structures des aidant·es/servitudes dans un pays qui, bien qu’africain, vit encore sous des structures de pouvoir à prédominance blanches. L’Africain est le domestique qui s’occupe de l’enfant caucasien (au centre de l‘œuvre), l’espace où les domestiques se déplacent et s’occupent des leurs (à droite de l’œuvre) et le salon de la maison, nettoyé et entretenu (à gauche de l’œuvre). La segmentation des espaces du foyer, avec leurs propres fonctions, responsabilités et règles, avec l’enfant caucasien au centre, me montre la réalité ségréguée du passé et du présent continu d’un pays, mais aussi ma réalité dans ce monde parfois contraint de croire, transparente, différente, je ne vois pas la couleur/la race, toutes les vies comptent, pourtant profondément marquées par la ségrégation.

La Monalisa, c’est ainsi que j’appelle cette œuvre d’Eniwaye Oluwaseyl, intitulée Lady Gift of the Foreign Land (2021). L’exposition When We See Us me permet de voir la Monalisa en nous. Tant de puissance, d’histoire, de symbolisme, de vérité et de contradictions exprimées avec la plus grande simplicité et la plus grande douceur. Le choix de cette œuvre pour l’exposition ne se comprend que lorsqu’elle est présente dans l’exposition. On pourrait même dire qu’elle a donné naissance à la structure, à la nature, aux couleurs, et aux courbes de l’exposition elle-même. Les tons verts et rouges de l’exposition, les murs arrondis qui créent l’espace, tout cela a peut-être été inspiré par une femme, cette femme, sur fond rouge sang, posée dans un doux équilibre, avec pour seul foulard vert, projetant posture, calme, direction, espoir, sentiment d’identité au milieu d’un océan de choses qui pourraient être écrasantes. Pourtant, elle, une femme, parvient à équilibrer tout cela. De plus, la force de l’œuvre réside dans le fait qu’elle représente non seulement une femme dans ce rouge immersif, reflet d’un monde de consommation, mais qu’elle embrasse aussi une femme noire albinos. C’est véritablement symbolique. La race noire, à la peau blanche, est le résultat d’une altération de l’ADN, d’une femme. Toute la base de la pyramide sociale (noire, différente, femme) est représentée en parfait équilibre entre chaos et prospérité. C’est tout. C’est la mère. C’est la Joconde noire et blanche.

Dans cette œuvre d’Otis Kwame Kye Qualcee, intitulée View of Yoel William (2020), je vois la délicatesse résolument noire de l’homme noir. L’œuvre englobe l’évidence, la couleur de peau. Pourtant, elle va bien au-delà de la simplification d’une couleur de peau. Elle épouse des traits tels que l’ossature du visage, l’épaisseur des lèvres, la largeur du nez, la fermeté des mains, jusqu’à la douceur du toucher de l’homme noir tenant une magnifique fleur rouge contrastant avec le costume bleu clair, objectivement mis en valeur par le rose chaud et doux du mur en arrière-plan. Les bijoux et les lunettes qui l’accompagnent révèlent une subtilité de classe, de mode, d’intellectualité et de sens de soi. Un côté qui manque cruellement à ceux qui nous voient. Pourtant, un côté bien connu et reconnu lorsque nous nous voyons.

Aux sources d’une révolution (2017), une œuvre de Chéri Chérin, présentée dans la section « Triomphe et émancipation » de l’exposition.
À la vue de cette œuvre, je ne peux m’empêcher d’être perplexe, submergée par la quantité d’informations et de politisation qu’elle contient. Je me demande comment elle reflète nos victoires ? Si l’œuvre était mal placée ou si elle avait été choisie à tort dans l’exposition. Pourtant, cette conversation cognitive initiale est à juste titre ignorée. Le discours que je vois est en réalité celui que je vis. Sommes-nous vraiment émancipé·es ? Est-ce que je sais ce qu’est mon émancipation ? Les triomphes et l’émancipation sont-ils libérés des chaînes politiques ? Ne continuons-nous pas d’être télédiffusé·es sous des télescopes biaisés pour maintenir un récit ? Ainsi, le sentiment de confusion de soi et la politique entourant la race noire sont bien assimilés dans l’œuvre choisie. Très bien pensée.

Golden Shower (2019), œuvre de Maxwell Alexandre.
Ayant vécu dans une réalité qui expérimente continuellement ce qui est représenté dans cette œuvre, je vois quelque chose au-delà de l’exposition des corps, au-delà du fait que cette œuvre soit représentée dans la section « Sexualité », au-delà de l’évidence. Cette œuvre illustre la tristesse, notre triste réalité. Les gens, les sociétés où les infrastructures de base, l’assainissement public et l’urbanisme sont rares. Golden Shower me montre le cycle vital entre le liquide excrété et le liquide “d’hygiène personnelle” fusionnés en un seul. Se baigner dans l’urine commune en raison du manque d’assainissement public, de structure urbaine, de santé sociale, comme besoins fondamentaux garantis.
Comme le dit le proverbe, « La beauté est dans l’œil de celui qui regarde », ou « Qui se ressemble s’assemble » ; et personne n’est mieux placé que nous pour parler de nous.
L’exposition When We See Us n’est qu’un grain de poussière de tout ce que nous sommes, avons été et devons continuer à être pour préserver notre beauté, notre histoire et notre complexité. Pourtant, aussi minime que soit cette exposition par rapport à notre vaste ensemble noir de voix inexploitées, elle a fait ce que toute action intentionnelle fait : IMPACTER ! La beauté réside dans les détails, et c’est précisément ce que l’exposition a permis de mettre en lumière. Elle reflète la profondeur des détails existant dans un univers qui continue à vivre sous le discours d’une seule couleur, d’une seule forme, d’une seule histoire, d’une seule vérité, d’une seule réalité. When We See Us a montré notre histoire, souvent racontée par elleux. L’exposition a permis de déconstruire ce discours non seulement pour elleux, mais aussi pour nous. Elle a montré la diversité de nos réalités, de nos quotidiens, repos, triomphe et émancipation, sensualité, spiritualité, joie et réjouissance. Une histoire, la nôtre, souvent racontée par elleux.
Le décès malheureux de Koyo Kouoh nous attriste toustes, car nous perdons un être authentique. C’était une personne dont la transparence, la rudesse, la clarté et la vision exprimaient sans détour ce NOUS. Nous perdons quelqu’une qui a la capacité de faire ce que beaucoup d’entre nous n’ont pas, ou ont perdu : la capacité de nous voir les un·es les autres et de nous montrer à travers nos yeux, en établissant notre propre scénario, et des expositions qui nous promeuvent, colorées, pleines de formes, sans limites, avec tant de substance dans la simplicité de tout ce que nous avons à offrir. Comme nous l’avons déjà dit, la beauté est dans le détail, et Koyo Kouoh en est un, dont le nom vivra dans l’éternité parce que nous nous voyons.

Silvana Furtado da Silva Coelho
Âgée de 31 ans, de nationalité angolaise, Silvana Furtado da Silva Coelho est citoyenne du monde et a une vaste expérience de la diversité des milieux sociaux, ayant vécu dans plusieurs pays tels que le Portugal, les Pays-Bas, Hong Kong, l’Angola et l’Angleterre. Titulaire d’une licence en droit, elle a acquis une expérience professionnelle dans le domaine des relations extérieures et du multilatéralisme. Jeune femme africaine au regard à la fois simple et profond, elle exprime ses points de vue dans des articles tels que « La mauvaise représentation idéologique du continent africain ».
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